UN AUTRE REGARD SUR PAUL WATSON
Pour archives, ma tribune publiée le 22 juin 2012 par Médiapart pour la défense d'un militantisme non violent. Réaction à la publication du livre " Paul Watson, entretien avec un pirate " de Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd en France.
http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/220612/haines-et-baleines
Depuis trente ans, Pierre Gleizes photographie les actions de Greenpeace, à travers le monde et sur les océans. Il revient ici sur les profonds désaccords qui opposent cette organisation à une autre, Sea Shepherd, dont il conteste fortement les méthodes –lesquelles se sont traduites par un débat impossible lors du dernier festival Etonnants voyageurs.
Si je photographie les actions de
Greenpeace depuis trente ans, et vient d'en faire un livre (1), je me
suis cependant toujours exprimé en mon nom. À l'occasion du festival Etonnants Voyageurs, fin mai à Saint-Malo, j'ai été invité à participer à un débat autour de la parution du livre Paul Watson, entretien avec un pirate
(2). Et je me suis retrouvé prisonnier de la querelle qui obscurcit les
relations entre Paul Watson et Greenpeace depuis trente-cinq ans. Tout
comme le public, j'ai été choqué que la rencontre avec Lamya Essemlaly,
auteur du livre en question et présidente de Sea Shepherd France,
l'organisation fondée par Paul Watson, se termine en pugilat verbal.
Assise par terre et avec une infantile désinvolture, Lamya Essemlaly,
dont j'avais écouté l'intervention sans broncher, m'a agressé
verbalement au point que la rencontre s'est interrompue dans la
confusion.
N'ayant pu m'exprimer librement à Saint-Malo, je souhaite ici compléter mes propos.
Ma totale solidarité avec les buts affichés par Paul Watson pour la
protection des océans ne s'accompagne pas d'une adhésion aux méthodes
qu'il utilise pour les atteindre. Le problème est dans la forme. Les
visages masqués, les T-shirts noirs, les casques ornés de têtes de mort,
la violence des mines sous-marines, les abordages, les sabordages, les
lances-pierres, les bombes fumigènes et chimiques, les cordes dérivantes
pour bloquer les hélices, les bateaux aux lignes agressives, les
missions aux noms de codes copiés sur ceux des militaires n'ont pas leur
place dans les luttes pour la sauvegarde de l'environnement. Nous ne
pouvons pas répondre à la violence que l'homme inflige au monde animal
par une nouvelle forme de violence faite aux hommes.
Greenpeace et Paul Watson, ou l'histoire d'un divorce qui a mal
tourné. Trente-cinq ans après qu'il se soit marginalisé à cause de son
manque de self-control, la jalousie et la rancœur font encore souvent
surface dans ses propos. En se présentant comme cofondateur de
Greenpeace, il se laisse emporter par sa mégalomanie et à l’écouter,
l'auditeur non averti pourrait croire que les premières campagnes
historiques n'auraient pas existé sans lui. Les faits ne lui donnent pas
raison. Paul Watson n'était pas à bord du Phyllis Cormak, premier bateau affrété par Greenpeace en 1971 pour protester contre les essais nucléaires dans le Pacifique.
La principale différence entre les deux organisations : les membres
de Greenpeace ne mettent jamais la vie des autres en danger. Ils ne
prennent des risques que pour eux-mêmes. Limiter les actions de
Greenpeace à la tenue de banderoles et à la signature de pétitions est
non seulement faux, mais s'avère une insulte à l'encontre des nombreux
militants qui prennent de gros risques lors d'actions terrestres et
maritimes. J'en suis souvent le témoin direct. Comment Paul Watson
peut-il écrire que « Greenpeace est la dame tupperware du mouvement écologiste » ?
Il revient sur l'Antarctique et l'année (2008) où Greenpeace, également présente sur zone avec l'Esperanza,
a refusé de lui communiquer la position de la flottille de chasse
japonaise, connaissant les desseins de Sea Shepherd. Celle-ci est en
effet allée jusqu'à souder des pieux métalliques sur l'étrave de son
bateau pour mieux éventrer les bateaux japonais, un projet criminel à
mille milles de toutes terres habitées, sur un océan dont la température
est de 0°, et irresponsable vus les risques de pollution. En aucun cas,
Greenpeace, tenue par sa responsabilité morale envers ses trois
millions d'adhérents, et soucieuse du respect de ses valeurs de
non-violence, ne pouvait transmettre de telles informations à des gens
aussi dangereux, même pour protéger des baleines...
Paul Watson se moque de Greenpeace et de sa « tactique du témoignage ».
Il l'a peut-être oublié, mais c'est suite à la publication de mes
photos que les cruels harpons froids (c'est-à-dire non explosifs) ont
été interdits dès 1982 par la Commission Baleinière Internationale
(CBI). Des photos que j'avais prises en 1980 dans une usine espagnole,
non loin du port de Marin où Sea Shepherd venait, selon ses dires, de
faire sauter quinze jours plus tôt, deux bateaux-baleiniers. Ce
reportage m'a valu, après avoir échappé de justesse à un lynchage, de
passer au tribunal dès le lendemain matin pour atteinte à la propriété
privée. La justice espagnole voulait montrer qu'elle réagissait face aux
écologistes, amis des baleines... Merci Paul, c'est sur moi que c'est
tombé, voir mon livre pour plus de détails !
Avec ces deux attentats à l'explosif, sans même parler des risques
qu'il faisait courir aux vies humaines, Paul Watson s'est complètement
trompé de cible et de stratégie. L'Espagne venait de rejoindre la CBI et
le quota de chasse qui lui avait été attribué était beaucoup trop bas
pour avoir usage des cinq navires baleiniers encore armés à l'époque. En
couler deux a rendu un formidable service financier à Juan-José Masso,
l'armateur, en lui faisant encaisser une belle prime d'assurance dont il
n'aurait jamais osé rêver. Paul Watson au secours de la trésorerie de
l'industrie baleinière espagnole, une histoire que vous ne lirez pas
dans son livre.
En plus d'être une grave erreur morale, l'usage de la violence est toujours une erreur tactique.
Est-ce en qualifiant de «barbares», sans distinction et
jusqu'à l'ennui, tous les habitants de Terre-Neuve, qu'il espère leur
donner envie de l'écouter et de comprendre son point de vue ? En
Antarctique, chaque fois que Sea Sheperd interfère avec leurs activités,
les images tournées par les baleiniers passent en boucle sur Internet
et des milliers de Japonais, qui habituellement ne consomment pas de
viande de baleine, foncent en acheter par pur réflexe patriotique. La
violence de ces extrémistes aux uniformes sectaires est non seulement
contre-productive, mais porte également préjudice, par effet d'amalgame,
à toute la communauté mondiale des défenseurs de l'environnement.
En 2010, Sea Shepherd a fait échouer les négociations avec le Japon
qui acceptait enfin de ne plus chasser en Antarctique en échange de la
possibilité de chasser, sous contrôle de la CBI, au large du Japon. Une
chance historique se présentait pour que les mers australes soient ce
qu'elles auraient dû toujours être, un sanctuaire pour les baleines. On
se serait occupé de la chasse au large du Japon, beaucoup plus
accessible que l'Antarctique, dans un deuxième temps. Toutes les
organisations concernées auraient pu travailler sur cette campagne et
les jours de l'industrie baleinière japonaise auraient été comptés. Paul
Watson a tout fait capoter. La stratégie politique n'est pas son
fort...
L'industrie baleinière japonaise est en état de faillite depuis des
années, mais cela ne suffira pas pour qu'elle cesse ses néfastes
activités. Ne pas céder devant Sea Shepherd est devenu une question
d'honneur national au Japon et les subventions vont continuer à être
versées pour renflouer l'entreprise. La situation est désormais bloquée
par un problème de personnes, avec un gourou au milieu du tableau. Sur
la seule page d'accueil de son site français, on peut compter neuf portraits de Paul Watson...
On comprend mal la page 169 de son livre. Comment peut-il affirmer
qu'il n'est pas mortellement dangereux d'éperonner un navire à une
vitesse de 13 nœuds ? Il appelle ça de « l'agressivité non violente ». J'appelle ça « l'imposture des mots ».
Jusqu'à présent, Watson a toujours eu une chance inouïe, mais un jour
il va bien finir par tuer quelqu'un. Des heures difficiles pour le
service communication de Sea Shepherd suivront... Écrire sur un ton
péremptoire « ne pas aimer les hommes » ne suffira pas.
Deux photos de cet ouvrage illustrent la radicalité des moyens
employés par Sea Shepherd, que je ne peux cautionner quelle que soit la
légitimité de l'objectif de la campagne. Sur la première, on y voit
leurs marins lancer des bombes chimiques sur un navire japonais. Sur la
deuxième, des policiers, présents sur ce même navire, répondent en leur
lançant des grenades assourdissantes. On peut aussi faire ça avec des
bombes nucléaires... Œil pour œil, dent pour dent, bienvenu au
Moyen-âge. Au cours d'un XXe siècle troublé, Gandhi, Martin
Luther King et Nelson Mandela nous ont fait avancer de quelques pas...
En prônant la violence pour régler un désaccord (et suite à l'impact
catastrophique qu'elle a sur les comportements sociaux de la jeunesse),
chaque fois que Sea Shepherd repart en campagne en utilisant de telles
méthodes guerrières, c'est l'humanité qui recule.
L'usage de la violence génère toujours plus de violence.
À Saint-Malo, c'est l'évocation du point suivant qui a fait perdre
son sens de la mesure à la présidente de Sea Shepherd France. Pour
tenter de prouver la non-dangerosité de ses méthodes, page 77, Paul
Watson fait état du fait que, jusqu'à présent, c'est Greenpeace qui a eu
à déplorer des victimes, pas Sea Shepherd. Par cette allégation non
référencée, il franchit ici toutes les limites de la désinformation.
Éclaircissement demandé à Lamya Essemlali après la rencontre, Watson
fait allusion à l'accident dont a été victime Sébastien Briat,
mortellement écrasé en Lorraine le 7 novembre 2004 par un train
transportant des déchets nucléaires. Or, cette action était organisée
par un mouvement anarchiste. Greenpeace n'avait rien à voir, ni de près
ni loin, avec ce drame... Je mentionne, d'ailleurs, ce décès et les
circonstances qui l'entourent dans mon livre. Si Lamya Essemlali avait
pris la peine de le lire avant notre rencontre, cela lui aurait évité la
disgrâce de mentir au public et de censurer par son agressivité verbale
une rencontre qui aurait dû rester démocratique.
En revanche, oui, en effet, mon ami Fernando Pereira est mort en 1985 à bord du Rainbow Warrior,
victime d'un attentat terroriste orchestré par les services secrets
français. Pour ce faire, ils ont collé sous la coque les mêmes mines
sous-marines que celles que Paul Watson claironne utiliser (page 24)
pour couler des baleiniers ! Si maintenant, il utilise la mort de
Fernando pour justifier l'innocuité de sa propre violence ! Quelle
morbide mystification !
Les points de vue exprimés dans le livre de Paul Watson partagent le
monde en deux camps : les bons et les méchants. Or, il me semble que
tout est beaucoup plus complexe dans nos sociétés où rien n'est
totalement blanc ni noir. Un exemple précis : contrairement à mon livre,
la mention « imprimé sur du papier provenant de forêts gérées de façon durable »
ne figure pas à la fin du livre qu'il vient de publier. Est-ce assez
pour prétendre qu'il est désormais complice de la déforestation ?
Je sais que l'on ne peut plus toucher le cœur de Paul Watson, l'homme
qui s'est auto exclu de la communauté des militants non violents. Il
ose même écrire qu'il y a bien longtemps qu'il ne fait plus rien pour
les humains. Par ses antagonismes, ses mensonges et ses invectives, il
nous sépare tous les uns des autres et entretient des polémiques
stériles malgré des buts communs.
Mai 2012, bonne nouvelle pour les océans. Victoire de Greenpeace qui
s'ajoute à une liste déjà impressionnante. Suite aux spectaculaires actions en haute mer
que j'ai photographiées en mars dernier, le nouveau gouvernement
sénégalais vient de retirer les licences de pêche à 29 super-chalutiers
étrangers qui pratiquaient la surpêche industrielle de façon insensée
dans la zone économique exclusive du Sénégal. Au même moment, Paul
Watson sort un livre en France où il qualifie Greenpeace, d'organisation
« incapable, moralisatrice, frauduleuse, parasite...» Des accusations mensongères et inappropriées.
Trente-cinq ans après ton divorce, Paul, remets de l'équité dans tes
propos, de la paix dans ton coeur... À visage découvert, sans têtes de
mort et avec non-violence, ensemble, on pourrait vraiment sauver les
baleines.
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(1) Pierre Gleizes est l'auteur de Rainbow Warrior mon amour, trente ans de photos aux côtés de Greenpeace, paru en septembre 2011 aux Editions Glénat.
(2) Arrêté en Allemagne en vertu d'un mandat d'arrêt du Costa-Rica, Paul Watson n'a pu se rendre à saint-Malo où il était également attendu. Il est actuellement en liberté sous caution.